Débat public sur le projet ferroviaire Bordeaux-Espagne 30 août - 29 décembre 2006 Bilan établi par le Président de la Commission nationale du débat public 31 janvier 2007 Le 1er décembre 2005, le Président de Réseau ferré de France saisit la Commission nationale du débat public du projet de « prolongement de la ligne à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique entre Bordeaux et la frontière espagnole » ; ce projet a pour objectif de relier les réseaux à grande vitesse français et espagnol en constituant le tronçon manquant entre la LGV Sud Europe Atlantique après son prolongement à réaliser d’ici 2016 entre Tours et Bordeaux, d’une part, et, d’autre part, la ligne espagnole « à haute performance » entre Madrid et la frontière après sa prolongation, à réaliser d’ici 2013, depuis Valladolid jusqu’au « Y basque » qui relie Vitoria à Bilbao d’un côté et de l’autre à Saint Sébastien et Irun. L’intitulé du projet avait l’avantage d’indiquer sa nature exacte : un prolongement de la LGV qui pouvait être, selon les hypothèses, une ligne nouvelle à grande vitesse ou un renforcement de la ligne actuelle, mais il avait l’inconvénient d’être bien long ; c’est pourquoi la CPDP proposa de retenir le titre plus simple de « projet ferroviaire Bordeaux-Espagne », qui avait en outre le mérite de montrer qu’il s’agissait, non pas seulement ou non pas nécessairement de grande vitesse, mais d’un projet plus complet visant, dans l’ordre, à favoriser le report maximal du fret de la route vers le rail, à améliorer les temps de trajet des voyageurs au sud de Bordeaux et enfin à permettre le développement des transports régionaux de voyageurs en train. Le 4 janvier 2006, la CNDP décide d’organiser un débat public sur ce projet et d’en confier l’animation à une commission particulière dont elle désigne le même jour le Président en la personne de M. Jean-Pierre CHAUSSADE. Sa décision est motivée par plusieurs considérations : l’intérêt national évident du projet, et même son intérêt international, reconnu par son inscription au Réseau Trans-Européen de Transport, l’importance de ses enjeux socio-économiques ou en termes d’aménagement du territoire, la diversité des impacts possibles sur l’environnement selon les sénarios envisagés. Soucieuse, comme toujours, que le débat s’engage sur la base d’une information complète, la CNDP précise que le dossier du débat devra comporter les résultats des études, alors en cours de réalisation, citées dans le dossier de saisine (sur l’évolution des trafics voyageurs et fret, sur les aménagements possibles de la ligne actuelle, sur les contraintes d’environnement dans les divers couloirs de passage envisagés,…) et des indications plus précises sur le mode de financement de l’ouvrage1. Elle précise également que la préparation comme le déroulement du débat public devront bien associer la partie espagnole. Notre objectif initial était de commencer le débat public en Juin, ce qui imposait un rythme de travail soutenu pour élaborer le dossier du débat ; la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) engagea ses travaux dans cette optique mais il apparut début Mai que la préparation du dossier exigerait plus de temps et que ce calendrier ne pourrait être tenu, il fallait donc prévoir l’ouverture du débat à la rentrée des vacances. 1 - Cette deuxième demande suscita l’inquiétude de certains qui y virent la volonté maligne de la CNDP de retarder l’ouverture du débat public en formulant une demande impossible à satisfaire ; il n’en était évidemment rien : la Commission nationale ne demandait pas qu’on lui fournisse le plan de financement de l’ouvrage, mais qu’on donne simplement des indications sur les modalités possibles de financement ; elle avait déjà formulé la même demande pour d’autres projets de LGV et RFF pouvait sans difficultés apporter les mêmes éléments de réponse. 1 C’est le 5 juillet 2006 que la CNDP examina le projet de dossier du débat transmis par RFF ; il lui apparut que les questions environnementales y étaient traitées de façon à la fois dispersée en divers chapitres et insuffisamment approfondie ; or les contacts établis par la CPDP avec les grands acteurs régionaux avaient montré la grande importance que tous attachaient à ces questions. La CNDP considéra donc que le dossier devait sur ce point être complété en regroupant et en renforçant l’analyse des aspects environnementaux, qu’il s’agisse des enjeux globaux ou des impacts sur les milieux naturels et humains de la zone d’étude. Mais dans le même temps, elle ne voulait pas que cela retarde encore le calendrier ; elle demanda donc que le dossier lui parvienne complété de façon à ce qu’elle puisse l’examiner au cours d’une séance exceptionnelle dont elle fixa la date au 26 Juillet, séance à laquelle elle arrêterait en même temps le calendrier du débat qui commencerait ainsi à la fin de l’été. Au prix d’un effort supplémentaire, RFF (qui disposait des études nécessaires et avait essentiellement à faire un travail de mise en forme) respecta l’échéance et, le 26 juillet, la CNDP pouvait fixer les dates du débat public du 30 août au 29 décembre 2006 ; l’information du public commençait cependant aussitôt puisque, le soir même, le contenu du dossier était mis en ligne sur le site Internet de la CPDP. Les conditions dans lesquelles se présentait ce débat public comportaient à la fois des atouts et des éléments défavorables. Du côté positif, le débat était attendu avec impatience et avec intérêt par la plupart des gens et il se situait clairement « en amont » de la décision : le dossier présentait trois sénarios, bien différenciés, et le choix était ouvert. En revanche, le projet avait un passé, et de nombreuses personnes avaient encore le souvenir de l’annonce « prématurée » d’une ligne TGV vers l’Espagne au début des années 1990 et des réactions qu’elle avait suscitées au Pays Basque ; le débat public sur le projet de LGV Bordeaux-Toulouse avait fait apparaître un an plus tôt dans le Sud de la Gironde de vives oppositions à un tracé qui aurait été commun avec le projet Bordeaux-Espagne et que l’on retrouvait comme une des trois options envisagées ; enfin depuis le printemps 2006 se déroulait dans des conditions difficiles une concertation sur le contournement autoroutier de Bordeaux qui rappelait le débat public sur le même projet, « conclu » hâtivement en décembre 2003 par une décision du CIADT qui avait été vivement critiquée par beaucoup de participants comme ne respectant pas le temps du débat. Ces éléments contrastés expliquent le climat qui a caractérisé ce débat public : il a été vécu avec intensité, en certains lieux avec passion et parfois dans le chahut, mais il a été complet, argumenté, approfondi, en un mot d’une grande qualité. Le travail remarquable effectué par la Commission particulière du débat public a été un facteur essentiel de cette réussite. Son Président, M. Jean-Pierre CHAUSSADE, mérite des remerciements tout particuliers ; sa conviction et son engagement personnel s’appuient sur une expérience précieuse (les dernières fonctions qu’il a occupées à EDF étaient celles de délégué au débat public). Les cinq personnes qu’il a proposées pour compléter la CPDP : Mme Michèle BORDENAVE, MM. Jean-Stéphane DEVISSE, José HARO, Olivier KLEIN et Jean-Yves MADEC, constituaient une équipe très complémentaire, riche de formations et de compétences diverses ; en outre 2 deux d’entre elles avaient déjà participé à un ou plusieurs débats publics : M. KLEIN et M. DEVISSE, qui est en outre membre de la Commission Nationale. Ajoutons que le Secrétaire Général de la CPDP, M. Frédéric AUCHER, et son adjointe, Melle Audrey WU, avaient eux aussi déjà apporté leur concours à une CPDP. Grâce à tous ces éléments, la CPDP, qui fonctionna selon un rythme soutenu, accomplit un travail intense et de grande qualité. Ce fut vrai dès le début, pendant la phase de préparation du débat, où elle rencontra environ 150 responsables élus, économiques ou associatifs ; ces entretiens permettaient d’une part d’expliquer l’intérêt du débat public, l’importance que ces personnes y participent activement, d’autre part de les interroger sur leurs préoccupations quant au projet et leurs attentes quant au débat. La CPDP pouvait ainsi avancer dans l’analyse des différents aspects du dossier et sa compréhension des problématiques des uns et des autres, et concevoir progressivement l’organisation du débat. Elle organisa fin Mai une réunion à laquelle elle invita toutes les personnes ainsi rencontrées, et celles qu’elle avait consultées par écrit, et où elle présenta les grandes lignes de la conception et de l’organisation du débat public, vérifiant ainsi que cela correspondait bien aux attentes. D’autre part, je le rappelle, la CNDP avait souhaité que la préparation et le déroulement du débat public associent la partie espagnole. Dans cet esprit, M. CHAUSSADE a rencontré les interlocuteurs compétents en Espagne à la fois au niveau central : le Directeur Général des transports ferroviaires au Ministère de l’Equipement, et au niveau régional, la Conseillère aux Transports du Gouvernement de l’Euskadi. Il eut les mêmes contacts au niveau de la Commission Européenne avec le Coordinateur du Réseau Trans-Européen de Transport chargé du dossier « Arc Atlantique ». Les uns et les autres exprimèrent leur intérêt pour le projet français et s’engagèrent à être représentés pour que leur position soit exposée, ce qui fut fait à différentes reprises. Le débat public commença le 31 août et s’accompagna de la mise en place de moyens, importants et diversifiés, d’information et d’expression. En ce qui concerne l’information, elle avait même commencé antérieurement : la CPDP avait diffusé en Avril une petite brochure expliquant l’esprit, les objectifs et les règles du débat public ; le dossier du débat avait été mis sur le site Internet de la CPDP dès la décision de la CNDP le 26 Juillet. Mais naturellement, c’est fin Août qu’eut lieu la diffusion la plus massive : la synthèse du dossier du maître d’ouvrage et le journal du débat n° 1 ont été distribués ensemble dans les boîtes aux lettres de tous les habitants des trois départements directement concernés (Gironde, Landes, Pyrénées Atlantiques) ainsi que des deux agglomérations de Tarbes et Lourdes, soit entre 1 million et 1,1 million d’exemplaires ; le journal du débat comportait une carte T qui permettait de demander le dossier du débat dans sa version intégrale, ou de demander à recevoir ensuite tous les documents du débat ; on compta ainsi plus de 5 000 « abonnés ». Cette information initiale fut complétée ensuite par l’édition de trois autres journaux du débat, par la mise à jour régulière du site Internet (nourri en permanence par la mise en ligne des comptes-rendus des réunions, de nouveaux documents du maître d’ouvrage, des contributions du public…). Les réunions publiques étaient annoncées à la fois par des annonces dans la presse et par des affiches et des tracts dans 3 la zone proche du lieu de réunion. Enfin de façon permanente il y a eu dans un certain nombre de lieux – et notamment dans onze gares – des expositions comptant une dizaine de panneaux d’information et l’antenne de Bayonne accueillait le public ; très bien située, elle a reçu plus de 1200 personnes ! La diffusion initiale de l’information donna lieu à contestation : il fut dit qu’aucune distribution de documents n’avait eu lieu dans de nombreuses communes situées au sud de la Gironde dans le triangle La Brède-Langon-Captieux, où déjà ce défaut d’information avait été dénoncé lors du débat public sur la LGV Bordeaux-Toulouse. On sait d’expérience que la distribution en boîte aux lettres non adressée connaît un certain taux de « déchets », mais ce choix est imposé par des raisons de coût : un envoi nominatif aurait coûté presque 400 000 Euros de plus ! Saisie du problème, la CPDP proposa aux Maires concernés de leur adresser un stock de documents en Mairie, ce qu’ils ont refusé ; elle fit donc refaire une deuxième distribution (65 000 exemplaires) dans la zone intéressée ; des tests effectués sur 100 personnes firent apparaître que, dans leur grande majorité, elles recevaient le document pour la deuxième fois. Compte tenu de tout cela, lorsque la Commission nationale du débat public fut saisie le 27 Novembre par le Président de l’Association des Maires de Gironde d’une demande de report d’un mois de la fin du débat pour défaut d’information du public, elle décida, en conformité avec l’avis de la CPDP, de ne pas y donner suite : cette prolongation non justifiée n’aurait eu pour effet, sans autre bénéfice, que de retarder ensuite la décision du maître d’ouvrage. Le public s’est vu offrir, et a pleinement utilisé, plusieurs moyens d’expression. Les réunions publiques sont le moyen le plus visible, le plus vivant, celui qui attire le plus l’attention. La CPDP avait conçu un programme qui permettait de couvrir tous les aspects du dossier et tout le territoire concerné. Il comportait d’abord trois réunions de lancement, puis douze réunions thématiques ont permis aux participants à la fois de s’approprier toutes les données et tous les aspects d’un dossier assez complexe et de comprendre les raisons motivant les positions des différents acteurs. Ces réunions thématiques ont ainsi contribué à la richesse des huit réunions de proximité qui ont suivi. Une réunion fut consacrée au compte-rendu de l’expertise complémentaire que j’évoquerai plus loin. Enfin, une réunion de synthèse s’est tenue à Bordeaux et a malheureusement été perturbée par ceux qui s’opposent au passage de la ligne dans le Sud Gironde et qui voulaient couvrir de leurs sifflets la voix de ceux qui défendaient une position différente. Il faut ajouter que la CPDP a assisté à sept réunions organisées non par elle-même mais par des organismes officiels. Toutefois, les comptes- rendus de ces réunions figurent également sur le site Internet de la CPDP. Au total, plus de 6 000 personnes ont participé à ces trente-deux réunions, ce qui est un des chiffres les plus importants enregistrés jusqu’alors. Les autres moyens ont été également largement utilisés : le site Internet a reçu plus de 30 000 visites, 35 cahiers d’acteurs ont été publiés, plus de 221 avis ou contributions ont été reçus et plus de 1200 questions2. Cette participation très active a été le fait de participants très divers et toutes les catégories de publics ont été présents et se sont exprimés : élus de grandes collectivités ou de petites communes, responsables économiques, responsables ou militants associatifs, « simples citoyens ». Il faut ajouter, et c’est un signe de la dynamique créée par ce débat public, qu’un certain nombre d’autres réunions ont eu lieu, avant ou pendant son déroulement, à l’initiative de collectivités ou 2 - L’ensemble de ces moyens a un coût : environ 2,2 millions d’Euros à la charge du maître d’ouvrage (auxquels s’ajoutent un peu plus de 120 000 Euros pris en charge par le budget de la CNDP : indemnités et frais de déplacement des membres de la CPDP, coût de l’expertise complémentaire). Cette somme est supérieure à celle qui avait été prévue au printemps (1,8 millions) mais M. CHAUSSADE explique précisément dans son compte-rendu comment, pour répondre à la demande, il a fallu augmenter un certain nombre de postes du budget. 4 d’associations, démultipliant ses effets ; enfin la presse écrite et parlée, de bout en bout, a donné une grande place au débat (plus de 400 articles et émissions), rendu compte de son actualité et traité des problèmes de fond ; elle a ainsi permis aux habitants de la région d’être pleinement informés du dossier et de l’évolution du débat. Sur quoi a porté le débat et qu’a-t-il apporté ? I) Il a d’abord porté sur le débat public lui-même, sur son moment, sur son utilité ; compte tenu du contexte que j’évoquais en introduction, cela était inévitable. Au début est revenue la question sur le projet de LGV Bordeaux-Toulouse et le fait que ce débat public avait eu lieu plus tôt ; n’était-ce pas l’indice d’une préférence ? Il a donc fallu expliquer que la CNDP ne se saisissait pas elle-même des dossiers et que, saisie par RFF de Bordeaux-Espagne presqu’un an et demi après Bordeaux-Toulouse, il était normal qu’elle organise le débat public environ un an plus tard. L’objet même du débat a été critiqué comme trop étroit : il aurait fallu parler non pas seulement de ce projet, mais plus largement de la question des transports en Aquitaine puisque dans le même temps on voyait évoluer d’autres projets (autoroutes A63 ou A65, contournement de Bordeaux, traversée centrale des Pyrénées) et qu’il eut été utile de s’assurer de la cohérence de l’ensemble ; dans les faits, ces questions purent largement être développées par ceux qui le souhaitaient car le débat public n’est pas une structure rigide et qu’au contraire il sait parfaitement s’adapter pour permettre que soient abordés les questions connexes, ou les problèmes d’amont, qui éclairent son objet principal. II) Sur le fond maintenant, il faut relever le consensus qui est apparu sur la priorité à donner au transport ferroviaire. Cela confirme ce que l’on a entendu dans les précédents débats publics portant sur des projets de LGV ou dans le débat public sur la politique des transports dans la vallée du Rhône. Ici cela est justifié par la volonté unanime de lutter contre le « mur de camions » qui n’a cessé de s’aggraver au cours des dernières années sur l’autoroute A10, sur la RN10 et sur l’A63, et par la volonté d’offrir une alternative à la voiture particulière pour les déplacements de personnes ; sur ce dernier point, il y a un large accord pour approuver les projets du Conseil Régional ayant pour but de moderniser et développer les liaisons TER (une exception étant apparue au Pays Basque, comme on le verra plus loin). Cette considération conduit de nombreux acteurs, parmi les élus et les acteurs économiques notamment, à répondre positivement à la question de l’opportunité du projet. D’autres en revanche, notamment les acteurs associatifs, n’aboutissent pas à la même conclusion et restent dubitatifs, voir opposés à la construction de voies nouvelles ; ils soulignent la nécessité de mieux 5 maîtriser la demande de mobilité – des personnes comme des marchandises – et ils insistent sur la nécessité d’utiliser d’abord au mieux les infrastructures existantes ; cela les conduit à évoquer les améliorations que l’on pourrait et devrait apporter à la ligne actuelle pour porter sa capacité à l’optimum. Les questions sur ce point ont été l’occasion pour le maître d’ouvrage d’apporter une première clarification importante : le projet présenté au débat suppose la réalisation préalable d’importants travaux de renouvellement et de modernisation de la ligne Bordeaux-Irun : environ 1 milliard d’euros d’ici à 2020 ; ces aménagements permettraient d’écouler de 10 à 12 millions de tonnes de marchandises à la frontière, soit environ cinq fois plus qu’aujourd’hui. A la demande de la CPDP, Réseau ferré de France a rendu publique en Octobre 2006 une note complémentaire à son dossier explicitant ces perspectives. III) Il y a de même un assez large consensus sur la nécessité d’une politique des transports qui favorise le report modal de la route vers le fer, consensus qui devient moins net lorsque l’on passe du principe aux modalités permettant d’y parvenir, dont la gamme va de mesures incitatives à des dispositions coercitives : établissement de péages pour le transport routier sur les axes aujourd’hui gratuits, création d’une taxe inspirée de la RPLP (Redevance poids lourds liée aux prestations) instituée en Suisse en 2002…. IV) En revanche, et curieusement compte tenu de ce qui précède, certains – et dès le début le collectif des associations de défense de l’environnement au Pays Basque (CADE) – ont mis en doute les prévisions de trafic ferroviaire de marchandises. Cette bataille de chiffres a pris plusieurs aspects : a) Il y a eu contestation des chiffres fournis par RFF sur le nombre de circulations actuelles, qui différaient de ceux fournis par les indicateurs de la SNCF, et certains en déduisaient une volonté de tromper le public, une manipulation pour rendre plus crédibles les hypothèses 2020. Réseau Ferré de France tarda à apporter des réponses satisfaisantes puisque c’est seulement à la mi-Novembre que purent être diffusées les deux notes que la CPDP lui avait demandées sur la capacité de la ligne existante de Bordeaux à Irun, d’une part, de Bordeaux à Langon, de l’autre. Malheureusement la première contenait, en ce qui concerne les trains de voyageurs, des chiffres qui furent eux aussi contestés. La CPDP dut réagir vivement pour obtenir de la direction régionale de RFF une note clarifiant les choses, mais qui n’arriva que le 12 Décembre ; c’est dire que trop longtemps a subsisté une polémique qui a inutilement pesé sur le climat du débat. b) Certains, et parfois les mêmes, ont souligné qu’il était totalement irréaliste de prévoir une multiplication par 10 d’ici à 2020 du fret transporté alors que l’activité de la SNCF dans ce domaine a baissé de 30% au cours des dernières années ; ils ajoutent que le service actuel d’autoroute ferroviaire était trop récent, et ses résultats encore insuffisants, pour que l’on puisse en tirer des conclusions aussi optimistes. 6 c) Enfin, ces intervenants considéraient que la capacité des lignes existantes était sous-évaluée pour pouvoir justifier les infrastructures nouvelles prévues par le projet. Cette controverse se poursuivant, et portant sur les éléments de base du projet, la CPDP accueillit favorablement certaines des demandes d’expertises complémentaires qui lui étaient présentées (celles du CADE, déjà cité, de la SEPANSO, fédération aquitaine rattachée à France Nature Environnement, et des Verts du Pays Basque) ; sur sa proposition, la CNDP décida le 4 Octobre de faire procéder par un cabinet indépendant à une expertise sur : – les prévisions de trafic fret à l’horizon 2020 – la capacité des lignes existantes à cette même échéance. Après mise en concurrence, la CNDP retint le cabinet suisse SMA, associé à ProgTrans, dont les travaux furent présentés lors d’une réunion spéciale à Dax le 5 Décembre. Sur le premier point, le cabinet conclut que la prévision faite par RFF est, selon les cas « réaliste », « plausible » ou « optimiste » (pour l’autoroute ferroviaire), que « globalement les prévisions sont donc jugées optimistes et un scénario prévoyant des hypothèses plus prudentes serait souhaitable ». Sur le deuxième point, sa conclusion est que la capacité qui serait rendue disponible par des aménagements mineurs de la ligne existante (en complément de ceux déjà prévus par RFF) permettrait de « répondre à la demande globale retenue à l’horizon 2020 dans des conditions qualitatives acceptables ». Ces conclusions ont apporté à chacun des éléments pour renforcer ses convictions et son argumentation. Les uns y voient la confirmation que les perspectives envisagées sont irréalistes et qu’il faut se contenter d’aménager progressivement la ligne actuelle. Pour RFF l’évolution envisagée est l’expression du volontarisme politique de l’Etat et des collectivités – et non pas le résultat d’une simple projection ; l’utilisation de la ligne existante à sa limite théorique de capacité ne permettrait sans doute pas d’atteindre la qualité de service retenue pour le projet : limitation de vitesse des TGV, dessertes TER moins performantes ; sur ce dernier point, le Président du Conseil Régional a clairement dit que cette conséquence n’était, pour lui, pas acceptable. D’autres enfin soulignent l’inévitable longueur du processus : il s’agit dans l’immédiat de prendre une décision de principe et d’engager des études approfondies ; le moment d’engager des travaux ne viendra que plus tard et pourra être choisi en fonction de l’évolution constatée ; enfin, en ce qui concerne les caractéristiques du projet, il ne faut pas raisonner comme si 2020 était une date limite : l’ouvrage est au contraire destiné à être utilisé à partir de cette date pendant des décennies. V) Le choix entre les options. Le dossier du maître d’ouvrage proposait le choix entre 3 scénarios : la mise à 4 voies de la ligne existante entre Bordeaux et Irun (scénario 1), une ligne nouvelle par l’Ouest des Landes (scénario 2), une ligne nouvelle par l’Est des Landes (scénario 3). Curieusement, le scénario 2 n’a suscité pratiquement aucune contribution, favorable ou défavorable, au cours du débat. 7 Pour le reste, le débat a nettement distingué entre la problématique de la partie Dax-frontière espagnole et celle de la partie Bordeaux-Dax. a) Entre Dax et Hendaye (scénarios 1-2-3) ; le débat s’est focalisé sur l’opportunité du projet. - L’opposition au projet s’est appuyée sur la remise en cause des perspectives du nombre de trains nécessaires en 2020 présentées par RFF. Outre les arguments déjà évoqués plus haut, un argument technique a été avancé : la possibilité d’allonger les trains et d’augmenter leur capacité de 300 tonnes (chiffre moyen actuel) à 500 ou 600 tonnes. Concernant les voyageurs, outre la dénonciation du « mythe de la vitesse », l’argument de l’inadéquation d’une desserte TER dense par rapport aux besoins de déplacements internes au Pays Basque a été avancé. Cette position portée par le collectif CADE s’oppose à tout projet ferroviaire qui conduit au doublement de la ligne actuelle au Pays Basque. - Parmi ceux qui soutiennent le projet ferroviaire, comme c’est le cas notamment de l’assemblée plénière de Pays Basque 2020, ou d’autres qui considèrent que l’on ne peut qu’accepter ce projet si l’on veut répondre à la question du mur de camions au-delà de 2020, se dégage un consensus pour refuser la solution d’une mise à quatre voies de la ligne actuelle au sud de Bayonne et soutenir le principe d’une ligne nouvelle construite dans l’arrière-pays. Ceux qui soutiennent ce projet réclament un aménagement respectueux de la qualité environnementale et de la qualité de vie des habitants du Pays Basque et le plus large recours possible aux solutions en tunnel. L’argumentaire plus spécifique au Pays Basque en faveur du projet insiste aussi sur le bénéfice d’une desserte à grande vitesse pour les voyageurs, qui favoriserait le développement économique de ce territoire, et sur l’opportunité d’une ligne nouvelle qui délesterait l’itinéraire actuel de la plus grosse partie de son trafic, les trains de fret, sources de nuisances sonores en forte croissance supportées par de nombreux riverains compte tenu de la densité de l’habitat. Quant à l’opportunité d’une gare nouvelle située sur cette ligne nouvelle, les positions sont plus partagées ou plus prudentes, certains pensent qu’il suffirait d’en réserver la possibilité. b) Entre Bordeaux et Dax par l’Est des Landes (scénario 3) - Le scénario 3 est l’objet d’une large convergence des milieux économiques (CRCI, CCI de Gironde, CCI, Chambre d’Agriculture et Chambre des métiers des Landes) et d’un bon nombre des élus représentants les grandes collectivités, notamment le Président du Conseil Régional et son Vice- Président chargé des transports, le Maire de Bordeaux ainsi que tous les élus des Landes sauf le maire de Dax. Ceux qui s’expriment en faveur du scénario 3 insistent sur l’intérêt d’une desserte à grande vitesse pour le développement économique et l’intérêt de desservir l’est des Landes avec une gare nouvelle près de Mont-de-Marsan ; ce serait favorable à la Ville de Mont-de-Marsan elle-même, mais cela aurait un intérêt plus général en termes d’aménagement du territoire, en rééquilibrant les chances de développement de l’Est des Landes et de la région. En outre, le tronc commun avec Bordeaux-Toulouse présente à leurs yeux l’avantage de minimiser le surcoût financier et environnemental de cette solution. De plus, la sortie de l’agglomération de Bordeaux par l’est leur semble plus simple que par l’ouest. Plusieurs évolutions du scénario 3 ont été proposées pour raccourcir les temps d’accès à Pau, au Béarn et à la région Midi-Pyrénées (scénario dit 3 bis) et pour examiner les possibilités de jumelage avec l’autoroute A65 ; mais la ville d’Orthez est défavorable à ces contre-projets qui la desserviraient moins bien. 8 - En revanche, le scénario 3 suscite de très vives oppositions : celle (qui s’était déjà exprimée lors du débat sur le projet de LGV Bordeaux-Toulouse) de riverains du projet et des élus du Sud-est bordelais et du sud-Gironde rassemblés dans un Comité de vigilance d’une part, celle d’associations d’inspiration plus directement écologique comme la SEPANSO, d’autre part. Leurs arguments sont d’abord environnementaux : préservation du milieu naturel, sauvegarde des espaces agro-sylvicoles et de la chasse, qualité du cadre de vie (lutte contre le bruit). Ce scénario 3 est ressenti comme un détournement de la priorité du projet, le fret, au profit d’un choix a priori du TGV. La ligne actuelle verrait l’essentiel des trafics, c’est à dire fret et TER, alors que la ligne nouvelle ne supporterait qu’une trentaine de TGV par jour. c) Entre Bordeaux et Dax sur la ligne existante (scénario 1) - Le scénario 1 a rassemblé les acteurs opposés à la création d’une nouvelle trouée ferroviaire dans la forêt des Landes pour deux raisons principales : d’une part, il constituerait la solution la moins traumatisante pour l’environnement, d’autre part sa progressivité permettrait d’adapter les investissements à la croissance des besoins. En complément, le scénario 1 est présenté comme le plus efficace pour la souplesse et l’exploitation autorisées par quatre voies contiguës. Il est également défendu et jugé vital par les élus du Bassin d’Arcachon et ceux de la ville de Dax pour le développement du tourisme et du thermalisme. - L’opposition au scénario 1 doute de pouvoir construire deux voies nouvelles à la sortie ouest de Bordeaux et elle dénonce l’augmentation des nuisances sonores pour les riverains. Cette opposition au scénario 1 revendique l’aménagement rapide de protections phoniques sur la ligne existante quelle que soit l’option retenue. Plusieurs idées nouvelles, alternatives ou complémentaires, ont été avancées pour adapter ou améliorer ce scénario : - emprunter, en la renforçant, la sortie sud-est de Bordeaux et construire un contournement par le sud le long de la rocade autoroutière vers le sud-ouest, longer l’A63 et rejoindre la ligne actuelle pour éviter la zone très urbanisée, - ou bien éviter la traversée de l’agglomération bordelaise en initiant depuis le sud un contournement par l’ouest lié au grand contournement autoroutier, - pour réduire le handicap de vitesse du scénario 1 par rapport au scénario 3 (7 minutes de plus entre Bordeaux et Dax), construire une LGV jumelée à la voie actuelle uniquement sur les tronçons les plus favorables (Lamothe-Morcenx) afin de gagner 5 minutes, - améliorer la ligne Morcenx-Mont-de-Marsan (relèvement de vitesse et éventuelle électrification). Si l’on s’efforce de résumer, de façon contrastée et schématique, les positions du public, il semble qu’elles soient inspirées par les trois conceptions suivantes : 1) l’utilisation maximale des capacités de la ligne existante : selon cette conception, les deux voies actuelles sont suffisantes, même à long terme, pour répondre aux besoins de développement du ferroviaire. Outre une modernisation de l’infrastructure (signalisation, alimentation électrique…), ce scénario implique une gestion qui privilégie systématiquement la capacité (trains longs et lourds) mais aussi la limitation des fréquences et des vitesses. 9 2) la construction d’une ligne nouvelle Bordeaux-Espagne par l’est des Landes : c’est le scénario 3 proposé par RFF, qui prévoit une LGV de Bordeaux à Dax avec un tronçon commun avec la LGV Bordeaux-Toulouse, puis une ligne nouvelle « mixte » vers l’Espagne. Ce scénario s’inscrit dans un schéma volontariste de desserte à grande vitesse du sud-ouest de la France améliorant les offres ferroviaires voyageurs internationales et nationales mais aussi inter-régionales et régionales. La ligne actuelle de Bordeaux à Dax, modernisée, est jugée suffisante pour assurer le développement attendu des trafics fret et TER. 3) l’aménagement progressif de la ligne actuelle en itinéraire à « haute performance » : déclinée du scénario 1 de RFF entre Bordeaux et Dax, cette solution peut être combinée avec la construction d’une ligne nouvelle mixte pour la traversée du Pays Basque. De Bordeaux à Dax, l’aménagement s’envisage de manière pragmatique et économe, en fonction des besoins, en visant plutôt un développement de la capacité de Bordeaux jusqu’à la bifurcation vers Arcachon, puis en ouvrant l’opportunité d’une augmentation de vitesse dans la traversée de la forêt landaise. VI) Les enjeux environnementaux, comme on a déjà pu le voir par quelques exemples, ont été présents tout au long de ce débat. Les enjeux globaux : il apparaît que le public a pleinement pris conscience de la nécessité de lutter contre les causes du changement climatique et la réduction des gaz à effet de serre est un argument souvent invoqué à l’appui des raisonnements favorables au ferroviaire. Les enjeux locaux : la nécessité de préserver le paysage et le cadre de vie a été abondamment évoquée dans le Sud Gironde et au Pays Basque ; mais des argumentaires plus généraux ont aussi été présentés par les associations – ou fédération d’associations – de défense de l’environnement, exposant les sensibilités ou fragilités des territoires et milieux concernés : les espaces agricoles, la forêt, les cours d’eau et milieux humides, les espèces animales qui y vivent… La question des nuisances sonores a été vivement discutée, en milieu rural comme en milieu urbain et, comme dans d’autres débats publics, on a pu constater l’incompréhension totale entre le public et les experts : il y a un profond décalage, et même une différence de nature, entre le bruit ressenti par un particulier et le bruit moyen mesuré par un technicien (selon des normes qui d’ailleurs semblent destinées à évoluer). D’autre part, le débat a fait prendre conscience à beaucoup de riverains des perspectives de croissance du trafic (TER et fret) sur la ligne actuelle, ce qui les a conduits à demander de façon insistante l’installation de protections phoniques pour atténuer les nuisances qu’ils auraient à subir. VII) La question du coût du projet et de son financement a été abordée de différentes façons. Ceux qui sont défavorables à une ligne nouvelle soulignent que le simple aménagement de la ligne existante est infiniment moins coûteux et qu’en outre l’investissement peut se réaliser progressivement ; cet argument est utilisé aussi par ceux qui seraient favorables à un scénario 1 amélioré par la réalisation de sections à grande vitesse dans sa partie landaise. Les discussions sur le mode de financement en sont restées assez largement à des considérations générales : 10 financement public ou recours au privé sous la forme soit de la concession, soit du partenariat public- privé (PPP) ; ceux qui souhaitent une réalisation rapide sont évidemment favorables à la dernière solution, en soulignant qu’elle apporte une plus grande souplesse de gestion financière. Mais en tout état de cause, elle n’exclurait pas une participation des collectivités publiques. On attend bien sûr le concours de l’Europe : le financement des études à 50% semble acquis, mais ensuite quel taux de subvention pour les investissements : 10%, 20%,… ? et pour tout l’itinéraire ou seulement pour la partie transfrontalière, c’est-àdire en France pour la section au Sud de Dax ? Mais surtout, c’est la question du partage des efforts entre l’Etat et les grandes collectivités territoriales qui est posé ; certains se sont inquiétés de la capacité de la collectivité régionale à contribuer au coût de ce projet, qui viendrait s’ajouter à celui de la LGV Tours- Bordeaux, et à faire face à ses engagements en faveur du développement des TER. Je termine la rédaction de ce bilan le 15 Janvier. Il sera rendu public, en même temps que le compte rendu du Président de la Commission particulière à l’occasion des conférences de presse que nous avons prévu de tenir avec M. CHAUSSADE à Bordeaux et à Bayonne le 31 Janvier prochain. Nous aurons donc, comme chaque fois que possible, veillé à ne pas utiliser totalement le délai de deux mois que nous laisse la loi. Réseau ferré de France, le Maître d’Ouvrage, disposera alors d’un délai maximum de trois mois pour prendre et rendre publique sa décision concernant les suites qu’il entend donner au projet et les conditions dans lesquelles il entend le mener. Je n’ai pas besoin de rappeler que la CNDP attache une grande importance à ce que cette décision soit motivée et qu’elle le soit par référence aux arguments développés pendant le débat public : RFF a donné l’exemple en la matière et le fait pour chaque dossier. Pour la suite, RFF sait aussi que l’après-débat public doit se poursuivre dans le même esprit d’ouverture et de transparence. À la séance de clôture, le Directeur Général de RFF, comme d’autres acteurs, a exprimé le souhait qu’en cas de poursuite du projet, la CNDP soit garante de la participation des acteurs au processus de concertation. Si une telle demande était formulée, la CNDP y répondrait positivement, comme elle l’a fait récemment pour le projet de LGV Provence Alpes Côte d’Azur, cette fonction entrant pleinement dans la mission générale que lui confie la loi. Yves MANSILLON 11