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Politiques d’aménagement - actions et réactions

samedi 22 janvier 2011, par Philippe Delpech

Il s’impose très vite à l’environnementaliste que l’on ne peut dissocier l’environnement de l’aménagement du territoire et, ce dernier, du monde politique, de son discours et de ses intérêts. En conséquence, on passe progressivement d’un sujet plaisant à quelque chose d’assez ingrat.
Essayer de mettre en ordre quelques constatations, c’est peut-être chercher à se conforter dans l’idée que, face à l’adversité, les prises de positions, les actions menées, ne sont pas injustifiées.

RFF ne se prive pas de le dire et de le répéter : « Nous ne sommes que des chargés de mission. Si vous êtes contre les LGV, ne vous trompez pas de porte, adressez vous aux véritables commanditaires : les Politiques ».
Les Politiques, on les compte à deux niveaux :

- l’échelon national : On conviendra que des Bussereau…, des Borloo.. ont une vision éloignée des problèmes posés. Ils veulent les LGV, évidemment, mais à condition que cela ne coûte pas trop cher à l’État. Le reste n’est pas leur souci.
- l’échelon local : il s’agit des maires, des communautés de communes, des conseils généraux et régionaux, donc d’élus en prise directe avec le territoire et les hommes qu’ils ont la charge d’administrer.
Dans leur très grande majorité, ces derniers sont pour les LGV.
Les LGV vont saccager le pays ? Elles saigneront un peu plus des ressources déjà exsangues ? Cela ne change rien à leurs positions.

Plus que les LGV, c’est là que réside le vrai problème !
Parce que, ailleurs ou demain, les mêmes donneront toujours leur adhésion pour un nouvel aéroport, une nouvelle autoroute, une nouvelle LGV, etc… Toujours au nom des mêmes principes :
Désenclavement, Développement, Modernité.
Le modèle que plébiscitent les citoyens n’est pas celui, par exemple, de la grande métropole parisienne, avec son cortège de nuisances : cherté de la vie, stress, pollution, insécurité. On ne va pas à Paris pour une meilleure qualité de vie mais bien le contraire : on en part.
Pour autant, il n’est qu’un cri de guerre pour les collectivités territoriales : « Soyons attractifs, développons nous ». On comprend bien que la notoriété et le poids politique des élus ne sont pas indépendants du nombre de leurs administrés. Et si les intérêts bien compris de certains les amènent à être circonspects vis-à-vis de la grande métropole « administrative », leur politique d’urbanisation intensive contribue, de fait, à la métropolisation.

On a dénoncé le mitage et l’étalement urbain ? Qu’à cela ne tienne ! On a inventé la « densification de l’habitat ». Au résultat on obtient … un étalement urbain densifié.
Et cela dans la bonne conscience générale. Sud-Ouest peut alors titrer : « Place aux métropoles » et Alain Lamassoure (député européen et conseiller général) déclarer : « Nous ne sommes plus dans une France rurale et illettrée. Nous sommes dans une France diplômée, urbaine, industrielle et de services. Nous avons besoin d’une organisation différente, qui s’appuie sur les agglomérations et les régions ».
La conséquence de cette politique d’aménagement faite par des urbains pour des urbains, c’est que les espaces non encore endommagés-on dira : ruraux- sont considérés à la fois comme des espaces à traverser, des réserves foncières, des gisements de ressources et de matériaux, voire des poubelles.
Tout cela évidemment dans un concert généralisé de « développement durable » et de « biodiversité à préserver ».
Il n’y a pourtant pas besoin d’avoir fait polytechnique pour se douter que cette politique du nombre travestie en expansion démographique ne va pas sans exigences ni sans nuisances : toujours plus nombreux, c’est toujours plus d’eau à prélever, plus d’énergie à fournir, plus d’infrastructures de transport, plus de surfaces bétonnées, plus d’eaux usées, plus de poubelles, plus de mobilité, plus de pollution. Et, mathématiquement, cela se fait et ne peut se faire qu’au détriment d’un environnement dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est déjà bien malmené.
Le paradoxe est que cette politique, pour le moins contestable au sens des intérêts des citoyens, est souhaitée, voulue, par les édiles qu’ils ont plébiscités… Dans le système qui nous régit, les citoyens ne sont les interlocuteurs privilégiés des politiques que le temps des élections. Après quoi, ils sont supplantés par les opérateurs économiques, omniprésents et dont les intérêts expliquent l’opiniâtreté.
Alors, pour les communes, c’est chacun son lotissement et les aménagements qui vont avec. Pour les grands barons régionaux, c’est Bordeaux Grande Métropole, c’est Bordeaux Euratlantique, c’est Bordeaux la ville millionnaire avec le Grand Contournement de Philippe Madrelle, l’A65 et la LGV d’Alain Rousset, la Cité du Vin, le Pont Levant et le Grand Stade d’Alain Juppé. Tous font le forcing pour imposer leur volonté et ne lâchent jamais prise. La crise même, pour inquiétante qu’elle soit, n’entame en rien leur détermination.

Et le citoyen dans tout cela ? Et bien tout est fait pour qu’il n’ait qu’à compter les points !
Une majorité se satisfait de la publicité promotionnelle diffusée et adhère aux projets sans plus de démarche critique. Reste la minorité directement touchée dans ses intérêts, qui a tôt fait de débusquer les faiblesses des dossiers et s’oppose. De longue date, les promoteurs ont intégré le mécanisme dans leur démarche : isoler les opposants en les assimilant à des défenseurs de pré carré. On peut le regretter mais il faut en être conscient : ne s’opposent que ceux qui estiment être atteints dans leur « territoire ». Or pour bon nombre, le territoire s’arrête à la clôture du jardin… Déplacer une autoroute ou une LGV de quelques centaines de mètres suffit à démobiliser ; à quelques kilomètres du domicile, une nuisance n’a qu’un caractère anecdotique.
Les individus sont féroces pour ce qui concerne leur progéniture en bas âge… Comment expliquer leur insouciance du monde qu’ils laisseront demain ?
Après les débats publics, après 5 ans de discussions, d’articles dans la presse, dans les bulletins municipaux, régionaux et départementaux, les campagnes d’affichage, les manifestations, les réunions publiques, comment expliquer que l’on puisse encore rencontrer des habitants qui disent tomber des nues lorsque l’on évoque les projets de LGV ? On pourrait invoquer le manque de « disponibilité ».. si cela n’était à mettre en doute au vu des marées humaines que mobilisent certains vide grenier..
À la décharge des citoyens, il ne faut pas sous-estimer la pléthore de causes environnementales à défendre ici et ailleurs : rivières, mer, nucléaire, OGM, nanotechnologies, incinérateurs, centres d’enfouissement, autoroutes, LGV, plus bien d’autres.…, et ces sujets n’ont strictement rien de drôle !.
Il faut aussi considérer que s’opposer à ce type de projet, c’est s’opposer au discours dominant et, à la base du discours dominant, on a des hommes politiques…. Cela passe par un engagement qui n’est pas facile.
Les associatifs qui se sont lancés dans ces bagarres le font avec des moyens dérisoires et des handicaps certains : une défiance généralisée des élus à leur égard et, pour la population, une tendance assez générale à les comparer à des témoins de Jéhovah prêchant la bonne parole. Sauf, lorsque confronté à l’inéluctable, on les sollicite comme dernier recours.
Arrivent-ils à convaincre ? C’est difficile à évaluer mais, à l’évidence, leurs discours, leurs actions, gênent !

On dit qu’à la base de l’engagement il y a l’indignation…Mais à la base de l’indignation, il faut la prise de conscience… Or, il est évident que la prise de conscience relève plus de la « révélation mystique » que de l’argumentation la plus pertinente !
On pourra conclure en espérant que M. le Conseiller Général du canton de La Brède n’a pas raison lorsqu’il dit : « Vous pouvez toujours écrire : « NON à la LGV » le long des routes, si ça vous amuse… ».
Personnellement je m’en tiendrai à la formule de Théodore Monod : « Le peu que l’on peut faire, il faut le faire…mais sans illusions ».

Philippe Delpech, 6 janvier 2011