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L’eau en danger

dimanche 14 novembre 2021, par Delpech

Cet article a été présenté lors des Rencontres Environnementales en Arruan : "Eau et zones humides : subir ou agir ?" tenues le samedi 7 novembre 2015 à 14 heures au Centre Culturel Gilles Pezat, rue de la Papèterie à Beautiran (33640). Ces Rencontres étaient organisées par l’Association Landes Graves Viticulture en Arruan (LGVEA)

Quelques repères historiques
Jusqu’à la fin de l’Empire Romain, ce sont déjà des aqueducs qui contribuaient à l’alimentation en eau de Burdigala. Après l’abandon de ces aqueducs, du Moyen-âge au 18ème S, Bordeaux doit se satisfaire, en optimisant l’exploitation de la ressource locale ; évidemment, sans pouvoir éviter quelques problèmes de salubrité. Dans les années 1735, on va capter la source d’Arlac, à 4 kms du centre de Bordeaux ; en 1854, on construit l’aqueduc du Taillan, long de 12 kms. En 1887 est mis en service l’aqueduc de Budos qui, sur 40 kms, conduit à Bordeaux les eaux de la source de Fonbanne. En 1902-1903, la source de Bellefont à 20 kms de Bordeaux est captée. En 1928, l’apport moyen est évalué à 311 litres par habitant pour une population de 258000 habitants. Soit 30 millions de m3 par an. Dans les années qui ont précédé 1950, pour cause de pénurie, on doit procéder à des coupures en période estivale. C’est à partir de 1968 que le contexte évolue assez radicalement avec la création de la CUB. En 1970, la CUB confie la gestion du Service public de l’eau à La Lyonnaise. La même année, un important projet, dit "des 100000 m3" est lancé à l’ouest de notre canton ; il arrivera à son terme en 1986. Et c’est là que les choses sérieuses commencent. En 1992, une loi sur l’eau propose une démarche : le SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux). Il incombe à une Commission Locale de l’Eau (CLE) d’en organiser et d’en gérer les travaux. Les autorités locales décideront, en 1998, de mettre en place un SAGE nappes profondes. Le document de base sera un état des lieux dont les résultats sortent en 2002. Ces résultats s’avèrent inquiétants.

Avant d’aller plus loin, quelques précisions sur les nappes profondes.
Du massif Central et des Pyrénées jusqu’à l’Atlantique, le Bassin Aquitain est constitué d’un empilement de couches géologiques de nature et d’âge différents. C’est une alternance de couches d’argiles et de marnes imperméables et de couches perméables, de sables, de grès, de calcaires, riches en eau : les aquifères.

Figure 1 : Position stratigraphique et âge de formation des aquifères du SAGE nappes profondes (suivant l’illustration p. 2 in "Sage nappes profondes de Gironde, Atlas des zones à risques-phase 2", rapport intermédiaire, mai 2009)

Quatre aquifères satisfont aujourd’hui l’essentiel de nos besoins et sont l’objet des travaux du SAGE : ceux du Miocène, de l’Oligocène, de l’Eocène et du Crétacé. L’eau que nous y prélevons a cheminé pendant de nombreuses années, peut-être des milliers, avant de nous parvenir. Aussi y a-t-il tromperie lorsque, après un hiver pluvieux, les médias annoncent que "les nappes sont rechargées". On peut être d’accord pour les nappes de surface mais sûrement pas pour celles du SAGE.

Surexploité, voire "pillé" : l’aquifère oligocène
Pour rester local, nous nous attacherons plus particulièrement à l’aquifère de l’Oligocène, surexploité sous notre canton. Au vu de certains chiffres, on pourrait peut-être parler de pillage. En 2006, par exemple, la communauté de communes de Montesquieu consommait 2,5 millions de m3 par an, à peine plus que les prélèvements de la seule source de Castres-Gironde (Bellefont) alors que les prélèvements de la CUB atteignaient déjà 18 millions de m3 dans notre Sud-bordelais.

Tableau 1 : Prélèvements effectués sur la Communauté de communes de Montesquieu dans la nappe oligocène en 2006

En 20 ans, entre 1977 et 1998, l’aquifère oligocène avait baissé de 16 mètres au droit de Léognan. Le processus de dénoyage de la nappe était entamé. Entendons par là un rabattement tel, que l’état de l’aquifère passe de l’état de surpression à celui de dépression ; les flux naturels s’inversent alors ; sources et rivières ne sont plus alimentées et les eaux de surface percolent dans la nappe avec, évidemment, les risques de pollution inhérents.

Figure 2 : Carte des zones dénoyées et des zones à risque de dénoyage de l’aquifère oligocène dans le Sud-bordelais (suivant illustration p. 17 du "Tableau de bord Sage nappes profondes, document de la CLE n° 5, données connues à mars 2014).

Devant la gravité de la situation, des mesures urgentes s’imposent : économies, guerres contre les fuites du réseau... mais cela ne suffira pas. Il faut impérativement freiner la surexploitation de l’aquifère oligocène et, pour compenser cela, avoir recours à des "ressources de substitution".

Les ressources de substitution
Les documents de 2002 déclarent "qu’il faudra avoir recours aux eaux superficielles" et précisent " le SAGE organise cette mutation technique, doublée d’une révolution culturelle ; les girondins vont à nouveau boire des eaux superficielles". Il est dit aussi : " Il sera fait obligation d’intégrer la dimension "nappes profondes" dans les documents d’aménagement du territoire tels que les PLU à l’échelle locale (analyse des incidences, mise en place de périmètres de protection des captages, surtout dans les zones d’affleurement où les risques sont liés aux usages du sol) ". Dans ces années 2002, parmi les différents sites alors susceptibles de fournir des ressources de substitution : Cadaujac, dont on attendait 5x10(puissance6) m3 / an. À cette époque, un travail sur la préservation des zones humides des bords de Garonne venait juste de s’achever et il était évident que si l’on y pompait 5x10(puissance 6) m3, on prenait le risque d’en faire des zones sèches.
Fin 2012, dans le cadre du "SAGE, nappes profondes révisé", un objectif de 20 à 25x10(puissance)6 m3/an de ressources de substitution est fixé à l’horizon 2020. Le projet alors en pointe est celui du Cénomanien Sud-Gironde à Saint-Magne susceptible de fournir 10 à 12x10(puissance 6) m3/an. Comme disait un élu local à ce sujet : "Ils vont nous pomper en 1 jour ce que l’on consomme en 1 an". Et, d’après des spécialistes, ces prélèvements ne seraient pas sans incidences à la fois sur les sources environnantes, les lagunes de Saint-Magne, site Natura 2000 FR7 2007 08 , et le ruisseau du Gât-Mort, site Natura 2000 FR7 2007 97. En avril 2015, Sud-Ouest nous apprend qu’il manque toujours 20x10(puissance 6) m3/an dont la moitié pour le Grand Bordeaux. Bordeaux métropole prévoit 14 nouveaux forages dans l’aquifère oligocène entre Saint-Hélène et Saumos d’ici 2020 pour 10x10 (puissance 6) m3/an. Cette eau n’est pas destinée à la seule métropole : "Elle est pour tout le SAGE". Au-delà de Bordeaux, une partie ira vers l’Entre-deux-Mers, une autre vers le Sud-Gironde. En Médoc, ce sont alors les sylviculteurs du coin qui, réchauffement climatique aidant, craignent pour leurs plantations de pins. La moralité de tout cela, c’est qu’aucune solution n’est gratuite ; chacune a son revers.

Mutualisation et gestion de la ressource
Quelle que soit la solution retenue, la nécessité oriente vers une mutualisation de la ressource, pour un service de la distribution à la demande. Actuellement, seule la CUB et la métropole sont en mesure de financer les structures que cela implique. A titre d’exemple, le projet du Cénomanien de Saint-Magne était évalué entre 40 et 50 millions d’Euro. À une centralisation technique correspondra, obligatoirement, une centralisation économique, ce qui, évidemment, pose la question du gestionnaire.
Parallèlement, cette gestion centralisée scelle, à plus ou moins brève échéance, la disparition des petits syndicats locaux, en même temps qu’elle affranchira certaines communes de la contrainte d’un approvisionnement très local.

Alors, l’eau potable est-elle en danger ?
Il ne viendrait plus à l’idée de grand monde de boire l’eau des puits. En période estivale, nos ruisseaux courent le risque d’être plus alimentés par les rejets des stations d’épuration que par les sources et les zones d’affleurement et de dénoyage mettent les aquifères à la merci des pollutions de surface. Malgré ces vicissitudes, il n’y a sans doute pas lieu de s’inquiéter pour l’approvisionnement en eau potable, les ressources technologiques de La Lyonnaise étant quasiment illimitées, mais ce sont les prix du m3 qui peuvent croître de façon inquiétante.

Pour conclure, on rappellera que, à tous les niveaux, il n’est jamais question de limite à notre expansion généralisée. Il est cependant incontestable que le monde dans lequel nous vivons, comme ses ressources ou ses capacités d’absorption des nuisances, ne sont pas extensibles. Les problèmes de l’eau que l’on vient d’évoquer en sont, je crois, une démonstration. Comme disait déjà Bernard Charbonneau en 1969 dans un de ses ouvrages : "Et les coûts de Megalopolis grandissent encore plus vite que sa taille. A tout prix, il faut faire venir plus d’énergie, plus d’eau. Il faut assurer le transport des vivants, se débarrasser des résidus. Megalopolis est une cité assiégée, mais elle ne l’est que par sa propre masse".

2 décembre 2015