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La Biodiversité, qu’est-ce ?

mercredi 24 novembre 2021, par Delpech

Le 17 janvier 2014, l’association LGPE organisait une exposition de photos de papillons et de libellules de la vallée du Gât-mort sur le thème :"préservation de la biodiversité". Les belles photos en illustraient la variété, cet article invitait, de pair, à la réflexion.

Il en est de la biodiversité comme de tout ce qui touche à l’environnement. Il y a peu de sujets aussi fréquemment évoqués dans le discours public qui soient aussi mal compris, mal connus et aussi peu suivis d’effet. La raison en est dans la difficulté à l’appréhender dans sa nature, sa variété, son intérêt. Cela malgré la simplicité, au moins apparente, de sa définition : la variété et l’abondance relative en organismes vivants, flore et faune, dans un milieu donné.
On dit de la connaissance de la biodiversité qu’elle est une science. C’est vrai. Mais une science un peu particulière dans la mesure où elle va de la simple réflexion de bon sens aux technologies les plus sophistiquées en passant par quelques considérations philosophiques, voire mystiques. Parmi les éléments qui caractérisent la biodiversité, il y a la notion de temporalité. Vingt mille ans avant nous, la dernière glaciation faisait de la France un pays aux rigueurs polaires ; à l’aube de notre ère, les romains évoquaient un pays largement couvert de forêts ; au 19è siècle, 35 millions d’habitants basaient leur subsistance sur la mise en culture de l’ensemble des terroirs, y compris les plus ingrats ; chacune de ces époques radicalement différentes a eu sa biodiversité. La biodiversité revêt aussi une dimension géographique, et de taille : On peut parler de la biodiversité générale de la France, ou de celle de la forêt équatoriale, de celle de la Région Aquitaine, de celle des zones humides des bords de Garonne, comme de celle d’un modeste jardin.
La biodiversité, un patrimoine vivant
Au-delà de ce qui la caractérise, de la compréhension de ses mécanismes, la principale difficulté concernant la biodiversité est d’en démontrer l’utilité, l’intérêt. Il est acquis que la biodiversité constitue un inestimable patrimoine de ressources. À titre d’exemple, l’homme ne sait pas inventer une molécule pour lutter contre le rhume de cerveau. En revanche, l’expérimentation peut montrer que telle molécule, d’origine végétale ou animale, est efficace contre ce mal. Autre aspect bien perçu, la relation entre un organisme vivant, son parasite et le prédateur de ce parasite ; ce qui introduit la notion d’un équilibre, par définition fragile. Il en est de même pour la règle des chaînes alimentaires. À part cela, il n’est pas évident de concevoir que chaque organisme vivant a un rôle sur la planète et que la disparition de l’un d’eux, même modeste, est un phénomène regrettable. Le Bison et l’Aurochs ont disparu de la biodiversité de l’Europe de l’Ouest ; s’en porte-t-on plus mal ? Et si le Pique-prune, ce coléoptère qui s’est rendu célèbre dans le milieu des aménageurs et des travaux publics, disparaissait ? Personne ne s’en apercevrait et n’en souffrirait, à l’exception de quelques spécialistes.
Biodiversité et mode de vie
Beaucoup plus abstraite est la notion de qualité de vie associée à la biodiversité. Les sociétés "primitives" comme les Indiens des Grandes Plaines d’Amérique ou, chez nous, les populations de l’Âge du fer vouaient un culte à leur environnement, à la nature : arbres, sources, rivières, montagnes,.., parce qu’ils en étaient directement tributaires. Dans nos sociétés hautement technologiques, quasiment affranchies des aléas environnementaux (hors cataclysmes majeurs), la notion de "terre nourricière et protectrice" s’estompe... L’eau arrive par des tuyaux ; le super marché pourvoie à l’alimentation et l’on est largement à l’abri des intempéries. Au fur et à mesure que la société s’éloigne d’une relation physique avec la Nature, elle en perd le sens, la beauté et le plaisir. Comment regretter que les vols d’alouettes ne passent plus si on en ignore l’existence ? Comment expliquer ce paradoxe : un enthousiasme largement généralisé pour les voyages vers des sites lointains, de préférence prestigieux avec, évidemment, "des paysages d’une beauté à vous couper le souffle"... et d’être indifférent à ce qui nous entoure ? Comment expliquer cette absence d’intérêt pour ce qui vit à notre porte ? Comment expliquer cette insouciance face à ce qui, demain, peut disparaître ?
Biodiversité et population
C’est peut-être dans l’excès qu’en termes philosophiques le problème apparaît. Lorsque se profile la disparition simultanée de plantes, de mammifères, d’oiseaux, d’insectes,..., la question se pose de savoir s’il est normal que tout l’espace soit réquisitionné pour l’usage des hommes ? La réponse, avec sa charge d’erreur possible, appartient à chacun mais cela pourrait amener à dire que, même faute d’intérêt évident, il est regrettable de voir la biodiversité s’appauvrir. Et puis, il serait dommage d’oublier que la règle des espèces veut qu’avec de faibles effectifs leur empreinte soit insignifiante. Avec des effectifs plus conséquents, elles jouent un rôle dans les grands équilibres. En excès, elles deviennent une menace d’abord pour leur environnement ensuite pour elles-mêmes. En peu de temps, les effectifs de l’humanité ont explosé. Le terme de pullulation est-il excessif ? Espérons-le ; il ne présagerait rien de bon.
Biodiversité ; à quel prix ?
La richesse de la biodiversité est le reflet de la variété des milieux qui la supportent et de la façon de les gérer. Chez nous, elle a certainement connu ses heures de gloire aux temps de la charrue tirée par des bœufs, de la faux, de la hache et du passe-partout. Elle résiste mal aux très grandes surfaces traitées aux herbicides, aux fongicides et aux insecticides. L’urbanisation galopante et les infrastructures qui y sont associées ne la favorisent pas non plus. De façon générale, les impératifs de développement sans fin de l’économie moderne ne vont pas dans le sens d’une préservation satisfaisante. Même si le fait d’associer systématiquement "durable" à "développement" laisse présumer d’une prise de conscience de la notion de limite. La biodiversité ne se plaint pas, ne discute pas, ne proteste pas ; elle décroit. Doit-on alors s’accommoder d’un appauvrissement général ? Ce serait regrettable. Se poserait alors la question des moyens pour y faire face. Le préalable serait une indispensable et véritable prise de conscience, dont on peut assurer qu’elle éprouverait de sérieuses oppositions dès lors qu’elle serait confrontée à des intérêts économiques. Comme disait le président de la Coordination rurale (CR47) qui s’était invité à la "Journée mondiale des zones humides". Les agriculteurs sont inquiets "pour leurs espaces de travail qu’ils s’emploient à respecter et non à menacer". Ils sont exaspérés par "cette idéologie qui voudrait redonner à la nature son état originel supposé" et qui "résulte de raisonnements irréalistes, idéalistes et de constats mensongers" (sud-ouest du 3 février 2014). La faiblesse majeure de la biodiversité, dans une société régie par la valeur marchande, est précisément de ne pas en avoir alors que les milieux qui la conditionnent, eux, en ont une. Or, on n’achète pas des hectares de landes humides pour y voir pousser les Droseras ou la Gentiane pneumonante ; en général on défriche, on draine et on replante en pins. Il faut aussi relativiser cette vision urbaine de nos campagnes comme des "poumons de nature". La monoculture intensive du maïs en Béarn pas plus que la ligniculture du pin "ne sont faits ni pour nous plaire ni pour que nous nous y promenions" (comme disait un gestionnaire forestier). La marge de manœuvre se restreint encore lorsque l’on considère le peu d’engouement qu’ont suscité les programmes de gestion contractualisés proposés par exemple par Natura 2000. Ne restent dont que des protocoles de gestion quasiment indissociables d’une maîtrise foncière. Tels le Conservatoire du littoral ou le plus discret Conservatoire des Espaces Naturels ou des Domaines départementaux comme celui du Grand Brésil en bord de Garonne ou celui d’Hostens ou encore "Les Floralies" le long du Gat-Mort, propriété de la commune de Cabanac-et-Villagrains.
Cela peut-il être suffisant ? Quel niveau atteindre pour que cela ne soit pas une réplique de ces musées dont la vocation est de perpétuer le souvenir de ce qui a disparu ? C’est la question des moyens que l’on veut et que l’on peut y consacrer.
le 10 février 2014