Dès sa naissance, le mouvement associatif environnemental a été marqué par le lien étroit unissant l’écologie à la crise économique survenue avec la fin des trente glorieuses. Le fameux rapport du Club de Rome paru en France en 1972, annonçant l’incompatibilité radicale entre l’existence de ressources naturelles limitées sur la planète et une croissance économique exponentielle, illustre l’existence de ce lien incontournable qui fait pourtant l’objet d’un déni constant de la part de l’oligarchie.
L’histoire des relations conflictuelles qui ont existé entre les préoccupations écologiques et économiques depuis la naissance du mouvement environnemental souligne un fait paradoxal : les périodes de croissance économique pourvoyeuses d’emplois sont favorables à la diffusion de revendications écologiques, alors que, celles de crise les font passer à la trappe. C’est ainsi que le début des années 70 a correspondu en France à l’émergence de ces revendications illustrées par des combats menés contre l’extension du camp du Larzac et contre les premiers chantiers nucléaires. Avec le second choc pétrolier entrainant une aggravation de la crise à partir de la fin des années 70, l’écologie disparaît complètement du champ médiatique et politique. Au début des années 80, cette nouvelle question politique sera même perçue comme relevant d’une mode intellectuelle rentrant dans la catégorie de la culture, dixit Mitterand. La victoire de la gauche en 1981 et le triomphe de l’esprit d’entreprise caractérisant le libéralisme signe sa disparition complète. Et ce n’est qu’avec la multiplication des alertes représentées par des catastrophes industrielles comme celles de Bophal et de Tchernobyl, par la découverte du trou d’ozone et celle de l’effet de serre que l’on voit la question de la crise écologique planétaire reémerger progressivement au rythme des grandes conventions internationales comme celle de Rio en 1992.
Aujourd’hui, après l’épisode du Grenelle de l’environnement en 2007, c’est un peu le même processus historique paradoxal auquel on assiste avec l’aggravation de la crise économique des pays les plus développés. Malgré l’accumulation des signes d’une crise écologique majeure scientifiquement reconnue et fortement médiatisée et de diverses catastrophes affectant l’industrie pétrolière (Deepwater Horizon) et nucléaire (Fukushima), on constate aujourd’hui que cette question a complètement disparu des agendas politiques malgré l’actualité de la campagne électorale. Et l’on retrouve le même discours implicite que celui tenu dans les années 80, à savoir que l’écologie est un luxe qui doit passer au second plan par rapport à l’économie. Il est même affirmé que, sans croissance économique, les politiques de développement durable lancées à Grenelle seront profondément handicapées. Autrement dit, la récession impacterait non seulement le social mais également l’environnement.
Or ce discours apparaît complètement mensonger et mystificateur car, effectivement, si la récession handicape tous les investissements visant à mieux protéger l’environnement comme ceux consacrés aux énergies renouvelables et au traitement des rejets polluants, elle handicapera aussi ceux autrement importants ayant un impact calamiteux sur la nature, représentés par ce que les associations opposantes appellent « les grands projets inutiles », tels que les nouvelles infrastructures, les nouveaux aéroports ou réacteurs nucléaires (EPR et ITER) qui s’inscrivent dans la politique dite des « grands chantiers », financièrement ruineuse et écologiquement désastreuse ! La question de la dette illustre en fait le lien étroit existant entre la crise écologique et la crise économique qui renvoie à celle fondamentale des limites de la croissance. Au lieu d’opposer les deux phénomènes, le bon sens, si redouté par nos experts, doit au contraire les relier : les deux crises vont de pair ! Or, au lieu de tirer les leçons de ce fait historique massif, toutes les politiques des pays de l’OCDE ne visent qu’à refaire démarrer la croissance, un mirage qui ne peut que continuer à aggraver à la fois l’endettement et la dégradation de l’environnement ! Notre oligarchie préfère pourtant s’enfoncer encore plus dans une impasse que de remettre en question ses prêts à penser !
En fait la crise globale actuelle est celle du système industriel lui-même à laquelle il n’y aura pas de réponse sans remise en question complète de l’idéologie dominante depuis un siècle qui est celle de la croissance économique et techno-scientifique. L’humanité ne pourra sortir du cercle vicieux actuel qu’en visant l’objectif d’atteindre ce que John Stuart Mill appelait un « état stable » caractérisé par, non pas un « développement », mais un équilibre durable entre les sociétés humaines et la nature.
Simon CHARBONNEAU
Universitaire et militant associatif