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L’imposture « durable »

vendredi 14 septembre 2007, par Simon Charbonneau

L’imposture « durable »

Il y a déjà plus de trente-cinq ans que la sonnette d’alarme concernant la destruction planétaire de notre « terre patrie », comme dirait Edgar Morin, a été tirée, tant par des naturalistes pionniers que par des esprits libres et des scientifiques anticipateurs. Depuis, malgré les kilomètres de conférences internationales, de colloques, de déclarations solennelles sur le sujet et de journées de l’environnement, rien de sérieux sur la question n’a été entrepris durant ces années, tant sur le plan politique que par les acteurs du monde économique.
Ce n’est que récemment en ce début du XXIe siècle que la question est devenue d’actualité. Après l’omerta des années 80/90, brusquement, il n’y a pas un seul jour sans que les médias ne nous annoncent quelque information réjouissante sur l’avenir de notre planète. Désormais le fameux « développement durable » est de tous les discours officiels des pays du Nord. Comme le signifie cette expression désormais incontournable, il ne s’agit surtout pas d’atteindre un point d’équilibre « durable » entre notre système technico-économique et notre environnement en envisageant une décroissance contrôlée des activités portant le plus atteinte aux grands écosystèmes, mais de continuer la fuite en avant en introduisant des régulations d’ordre technique et économique.
Autrement dit, il ne s’agit surtout pas de rebrousser chemin et d’emprunter une autre voie, mais de perfectionner le système technicien dans l’espoir de le rendre « durable ». Plutôt que d’envisager une remise en question de nos modes de vie toujours plus artificiels, consommateurs de ressources naturelles et socialement inégalitaires, on préfère continuer à s’enfoncer dans l’impasse représentée par la déconnection soi-disant possible entre croissance économique et crise écologique. C’est, pourrait-on dire, une position néoconservatrice !
De ce point de vue, le bourrage de crâne actuel représenté par les campagnes publicitaires relatives aux vertus soi-disant écologiques de tel ou tel produit est proprement scandaleux, d’autant que le consommateur le subit sans pouvoir disposer des moyens modernes du marketing pour y répondre.
La création du superministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables illustre parfaitement les limites de cette entreprise utopique. L’agriculture n’en fait pas partie. Or, l’agriculture industrielle est aujourd’hui avec les transports une des causes principales de la crise environnementale. En second lieu, il semble bien que des dossiers aussi déterminants pour une nouvelle politique publique que ceux du nucléaire, des OGM et des grandes infrastructures de transport (autoroutes et LGV) ne soient pas considérés par les pouvoirs publics comme négociables, alors qu’ils représentent des menaces évidentes et immédiates, contrairement aux gaz à effet de serre.
Encore faudrait-il que même dans ce dernier domaine, il y ait un minimum de cohérence entre les diverses politiques publiques pratiquées. Or, on peut s’interroger sur celle qu’il peut y avoir entre le plan climat et le programme autoroutier. Une fois de plus, les arbitrages risquent dans ce domaine de se faire au profit du lobby des travaux publics allié à celui des ingénieurs des Ponts et Chaussées comme le montrent en Aquitaine les projets de l’autoroute Langon-Pau et du contournement autoroutier de l’agglomération bordelaise.
En fait, les nouvelles orientations politiques s’inscrivent tout à fait dans la logique du système puisqu’il s’agit de recourir aux instruments économiques d’une part (écotaxes et marché de droits à polluer) et aux nouvelles technologies d’autre part. Les solutions retenues, comme le souligne à juste titre Jean-Marc Jancovici, visent à améliorer les rendements énergétiques des équipements et à lutter contre toutes les formes de gaspillage, mais nullement à diminuer la consommation globale d’eau et d’énergie ou à limiter la mobilité des hommes et des marchandises. Le recours aux technologies alternatives utilisant des énergies renouvelables, telles que les éoliennes, les biocarburants ou même les panneaux solaires est privilégié sans tenir compte des coûts écologiques entraînés par ces nouvelles technologies. Concernant la question des quantités croissantes de déchets à traiter, elle est envisagée uniquement sur le mode du recyclage alors que la priorité devrait être donnée, comme d’ailleurs la loi le prévoit, à la réduction à la source en privilégiant la réutilisation des emballages et l’allongement de la durée de vie des produits ainsi que leur réparabilité.
Tels sont les enjeux politiques des négociations de Grenelle. Dont il ne faut pas attendre des miracles dans la mesure où les politiques publiques envisagées n’ont pas pour objet de s’attaquer aux causes structurelles de la crise environnementale. Ce ne sont pas les messages publicitaires « verts » qui y contribueront mais plutôt la multiplication actuelle des conflits d’environnement dans la mesure où ils sont toujours l’occasion, pour les citoyens ordinaires, de s’affronter à des enjeux concrets qui les concernent au plus profond d’eux-mêmes.

Simon Charbonneau