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Diversité fongique du boisement de Martillac

samedi 11 mars 2006, par LGPE

Diversité fongique du boisement de Martillac
liée à la présence d’une HETRAIE aux portes de Bordeaux :
Argumentaire scientifique en vue d’une protection


par J. Guinberteau
LGPE

De lourdes menaces pèsent aujourd’hui sur la magnifique forêt de Martillac (80 ha, Gironde) convoitée par un projet d’aménagement de golf et résidentiel, à proximité immédiate du projet pharaonique « Ampelopolis ». Il est admis que ce projet entraînerait plus de nuisances que d’avantages, en particulier en terme de circulation automobile et de déforestation. C’est la seule forêt digne de ce nom de tout le secteur de Martillac, sans doute la dernière sur cette commune, puisqu’il s’agit d’une très belle et ancienne futaie, constituée majoritairement pour partie de feuillus surtout, avec de très beaux hêtres et chênes ou de tilleuls (Ilici-fagion atlantique).
En Gironde, et sur tout le triangle landais, le hêtre mérite une attention toute particulière. En effet, elle est une essence forestière en plein déclin, devenue rare en Aquitaine en dehors de l’axe pyrénéen et qui aujourd’hui n’a pu se maintenir qu’à l’état relictuel au profit de ripisylves et de microclimat très ponctuel, compensant le double handicap de la latitude et de la faible altitude de cette région. Ce nouveau coup dur porté à cette forêt avec ses hêtres, à la suite de l’ouragan 99 et des changements climatiques, serait un coup fatal à cette essence sur tout l’ouest aquitain. Ceci, en dehors de la dernière hêtraie relictuelle des gorges du Ciron, déjà malmenée, et où cette dernière se maintient très vacillante, en raison notamment d’une sylviculture non conservatrice, peu soucieuse du maintien d’une mixité ou plurispécificité forestière (1).
De plus cette forêt de Martillac sous forme de futaie mélangée, de par sa diversité d’essences de substitution ou introduites, présente un intérêt majeur quant à sa biodiversité- surtout fongique (2) - révélée par la mise en oeuvre de plusieurs inventaires de la mycoflore que nous avons pu entreprendre, à la demande de la commune de Martillac. Soulignons ici, que les champignons sont aujourd’hui reconnus comme des acteurs importants du fonctionnement des écosystèmes forestiers et qu’ils sont des précieux bio-indicateurs de l’état de santé des forêts et de sa diversité biologique et fonctionnelle. De plus, sur le plan écologique, il est admis que la diversité biologique contribue à la stabilité des écosystèmes. Les champignons symbiotiques, y compris les espèces saproxyliques nécrotrophes des litières et des bois morts, y participent activement.
Sur le plan phytosociologique, cette forêt est composée d’une mosaïque de formations forestières, en parfait équilibre avec la nature du sol et sous-sol et l’exposition topographique délimitant des micro-climats notamment de part et d’autre du ruisseau de Bourran. Les sylvo-faciès les plus intéressants que nous avons pu noter sur le plan fongique appartiennent :

- à l’Ilici-Fagion (hêtraie-chênaie acidophile collinéenne à houx, à tendance sub-montagnarde), ou la hêtraie-sapinière Fagion sylvatica associé au sapin pectiné (Abies alba) introduit et qui arrive à se régénérer au contact des plus grands hêtres.
- le Carpinion thermophile sur les affleurements argilo-calcaire marneux où de magnifiques charmes se sont développés. Immédiatement après le hêtre et le chêne, notons l’intérêt majeur de cette essence qui abrite une diversité importante d’espèces de champignons symbiotiques sur ses racines ou dans sa litière de feuilles et d’humus (Inocybio-Lepioton, Cortinarius, Inocybe, Lactarius, etc.).
- le Tilio-Acerion ou peuplement apparenté à l’érablière de pente en exposition Nord vers Le Thil et le ruisseau de Bourran. De nombreux tilleuls contribuent ici favorablement à la diversité du cortège fongique et au maintien de son équilibre grâce à la qualité de son humus et de sa litière de feuilles et à ses symbioses racinaires nombreuses.
- notons aussi la présence dans cette forêt, d’essences introduites nord-américaines ou plus ou moins exotiques comme le Tulipier de Virginie (Liriodendron tulipifera), le chêne rouge d’Amérique (Quercus rubra), le pin sylvestre (Pinus sylvestris) et Pin de Weymouth (Pinus strobus), etc. qui ajoutent une note très favorable à la diversité fongique exceptionnelle que l’on peut trouver ici dans cette forêt aux portes de l’agglomération bordelaise. La diversification des essences naturelles ou exotiques apparaît donc comme un facteur d’enrichissement des communautés fongiques.

L’élimination même partielle de cette belle hêtraie - sapinière, ou de sa maltraitance par des éclaircies sauvages, pistes et clairières drastiques dues à des coupes à blanc, dans le but de lotir ou pour des activités ludiques non réfléchies (dont un projet de golf avec ses conséquences pour la gestion des ressources en eau), condamneraient à court terme la survie du hêtre, entraînant du même coup la disparition de ce réservoir de biodiversité en champignons dont les bordelais sont particulièrement sensibles.
Au cours de la saison automnale 2004, nous avons pu effectuer 3 visites ou relevés d’inventaire sur trois jours entiers répartis à 7 jours d’intervalle sur le mois d’octobre 2004. Malgré une saison mycologique 2004 déplorable, en raison d’une sécheresse persistante tardive devenue chronique, nous avons pu révéler paradoxalement - dans ce contexte très défavorable - une quantité relativement importante d’espèces (près d’une centaine), dont certaines fort intéressantes sur le plan patrimonial ou de rareté. Notons ici que certaines espèces de champignons relevées au cours de nos inventaires sur cette forêt, sont soit très rares au plan national ou quasi disparues au plan régional, ce qui démontre d’emblée l’intérêt et originalité de cette forêt, en plus du formidable potentiel ou réservoir de biodiversité évalué sur une seule saison. D’autres espèces liées exclusivement au hêtre par symbiose ectomycorhizienne, comme Russula fellea, et Russula fageticola, sont de par leur rareté en Gironde d’un très grand intérêt au niveau régional et local, alors que ces 2 espèces sont des plus banales dans les grandes futaies (hêtraie-chênaie) normandes où le hêtre est souvent dominant. Ceci est un argument suffisamment démonstratif de l’intérêt régional qu’il y a à préserver la marginalité écologique du hêtre sous climat planitiaire girondin. De même « le cortège d’espèces fageticoles » lié à la litière des feuilles de hêtre est bien représenté au niveau de cette forêt et présente un intérêt majeur, par la rareté régionale de certaines de ces espèces saprophytes ou saproxyliques. C’est le cas d’une multitude d’espèces de collybies ou de petites lépiotes rares pour la région (rareté liée notamment à la faible présence régionale du hêtre) comme Lepiota ignivolvata, L. ventriosospora, L. grangei, L. xanthophylla, L. selinolens, etc. Notons aussi que les deux collybies : Collybie radicante et Mucidule visqueuse (Oudemansiella radicata et O. mucida), bien représentées dans cette forêt par des exemplaires luxuriants, sont totalement absentes de ce secteur rive gauche de la Garonne, en liaison également avec la rareté de leur arbre hôte préférentiel : le hêtre.
Notons aussi le faciès sub-montagnard ou sub-pyrénéen de cette forêt de Martillac, souligné ici par la présence d’espèces fongiques typiques des grandes hêtraies pyrénéennes. Citons notamment, la présence de quelques espèces de champignon qui illustrent ce trait de caractère :

- Lycoperdon echinatum (voi photo)
- Lepiota ignivolvata (voi photo)
- Lepiota ventriosospora en mélange avec le sapin pectiné (voir photo)
- Lepiota ochraceosulfurescens (voi photo)
- Russula fellea (voi photo)
- Russula fageticola
- Lactarius subdulcis
- Cortinarius calochrous
- Cortinarius infractus
- Cortinarius croceocaeruleus
- Oudemansiella radicata
- Oudemansiella mucida rarissime en Gironde à cause du hêtre qui est son arbre support.
- Otidea onotica
- Marasmius cohaerens, spécialement sous Fagus (hêtre), Tilia (tilleul) et Carpinus (charme),(voi photo)
- Crepidotus calolepis sur bois de hêtre (voir photo),

Grosso modo, la proportion des champignons ectomycorhiziens symbiotiques (ECM) par rapport aux champignons saprophytes de la litière et des bois morts, est respectivement de 40% et 60% ; les deux communautés fonctionnelles étant composées d’espèces rares ou d’intérêt patrimonial à l’échelle régionale ou nationale. Une centaine d’espèces a été identifiée (voir tableaux I & II) sur une seule saison (automne 2004), dont la représentativité est discutable en raison d’une sécheresse très défavorable, ne permettant pas une évaluation plus exhaustive de la biodiversité fongique, basée sur l’apparition des carpophores dépendant eux-mêmes des facteurs climatiques De plus, la rareté et l’intérêt des espèces déjà identifiées à travers cette première campagne, laissent présager du potentiel de biodiversité et de richesse fongique que peut renfermer cette forêt. Notons aussi que la nature et qualité de cette mycoflore est en étroite corrélation avec le degré de maturité de ce peuplement âgé. En conclusion, à l’appui de ce constat scientifique établi sur une seule des composantes du fonctionnement de l’écosystème, il nous semble déplorable et criminel sur le plan environnemental, de sacrifier ou de perturber volontairement par des aménagements incontrôlés, ce peuplement forestier séculaire unique, en fragile équilibre écologique.

P.-S.

(*) voir planches photographiques en guise d’illustrations
(1) Le hêtre de par ses exigences ombrothermiques et hygrométriques élevées, arrive difficilement à se régénérer naturellement sous climat landais ou girondin à basse altitude trop défavorable à cette essence. Le caractère écologique le plus constant de la hêtraie semble la nécessité d’un état hygrométrique élevé de l’air, conjugué à des températures maximales modérées qui constituent les principaux facteurs limitants à sa régénération et à son développement. En basse altitude et en ambiance générale de chênaies (chêne pédonculé), le hêtre recherche presque toujours la correction ombrothermique des versants nord, ce qui semble le cas ici de cette futaie de Martillac.
La migration ancienne de cette essence au sein du triangle landais, n’a pu s’effectuer qu’au profit des ripisylves à ambiance humide et ombragée qui sont calquées sur le réseau hydrogéologique aquitain. Ici, son fragile maintien ne tient qu’à l’effet de masse et tampon du à la complémentarité interspécifique des différentes essences forestières, qui jouent pleinement en la faveur de cette survie du hêtre dans cette zone.
(2) Dans les forêts tempérées, parmi toutes les essences, le hêtre accueille les mycocoenoses les plus diversifiées, et de nombreuses espèces fongiques menacées (F. Richard & al, 2004)

Portfolio

  • Deux espèces de Lepiota
  • Coprinus picaceus
  • Crepidotus calolepis
  • Crepidotus mollis var calolepis
  • Détail pied anneau Lepiota ignivolvata
  • Entoloma incana
  • Hydnum repandum
  • Lepiota clypeolarioides
  • Lepiota cristata
  • Lepiota ignivolvata
  • Lepiota ignivolvata 2
  • Lepiota ochraceosulfurescens
  • Lepiota ochraceosulfurescens
  • Lycoperdon echinatum
  • Marasmius cohaerens
  • Russula fellea
  • 7 espèces de "microlepiotes"